Crise économique, crise sociale, crise de confiance… Le Tchad vit des heures difficiles sur fond de grèves des fonctionnaires, de salaires et d’arriérés de salaires non payés, de grogne estudiantine. Mardi, une partie de l’opposition et la société civile, en signe de protestation, ont organisé une journée Ville morte. N’Djamena subit de plein fouet la baisse du prix du baril de pétrole. Cette baisse suffit-elle à expliquer la crise actuelle ? Depuis 2004, la rente pétrolière a-t-elle été partagée ? Pourquoi pétrole rime avec corruption ? Le docteur Ousmane Houzibé, chercheur en Sciences politiques à l’Université de Rouen et de Lyon 3, répond aux questions de RFI.
RFI : au Tchad, l’exploitation du pétrole rime avec corruption, pots de vin et mauvaise gouvernance. Pour quelles raisons ?
Docteur Ousmane Houzibe : Le retrait de la Banque mondiale en 2008, de l’accord conclu avec l’Etat tchadien sur la gestion efficiente des revenus pétroliers, a ouvert la porte au désordre, entraînant une corruption généralisée dans la gestion des affaires publiques. A la suite de ces désaccords, le pouvoir en place a étendu son contrôle sur les revenus pétroliers et a créé une source d’enrichissement illicite aux barons du régime.
Mais diriez-vous que les revenus du pétrole n’ont vraiment pas permis de réduire la grande pauvreté ?
Pas du tout. Au contraire, ces revenus ont accentué une extrême pauvreté, en creusant un grand écart entre les tenants du pouvoir et les paisibles citoyens qui subissent les effets pervers de l’exploitation de ce pétrole, à travers la vie chère, créant une pauvreté endémique dans les couches les plus vulnérables des populations tchadiennes.
Les secteurs prioritaires ont été renforcés – je parle de la sécurité et de la défense – au détriment de la santé, de l’éducation, des routes. C’est votre constat ?
Pour le président Déby, la priorité reste la sécurité et la défense au détriment des secteurs prioritaires. Le budget de la santé et de l’éducation pèse cinq fois moins que la part réservée à la sécurité et la défense. C’est le constat qui ressort aujourd’hui, et clairement, dans le fonctionnement de L’État tchadien.
Vous diriez que «qui détient le pouvoir, détient le pétrole» et inversement ?
Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument. C’est ce qui explique le triptyque allocation du budget de l’Etat-attribution des marchés publics et pots de vin. C’est la source de l’enrichissement illicite des barons du régime tchadien dans la gestion des revenus du pétrole. Cet enrichissement illicite passe par la monopolisation des pouvoirs de décision dans la gestion des revenus du pétrole. Autrement dit : la transformation des pouvoirs dominants des membres influents du régime, c’est-à-dire le MPS actuel au pouvoir, en marchandisation des décisions politiques administratives et commerciales concernant la gestion des revenus du pétrole. Le triptyque a d’ailleurs engendré la création d’une nouvelle classe des richissimes, des barons du régime possédant des biens immobiliers, des voitures hors de prix…
Des comptes à l’étranger aussi ?
Bien entendu.
Un chiffre : en 2004, le budget de L’État tchadien, c’est 300 milliards de francs CFA. En 2015 : 3 000 milliards…
Le rêve du développement s’est transformé en véritable cauchemar pour tout le pays.
Alors, si on vous écoute bien, mettre sur le dos de la baisse du prix du baril de pétrole le non-paiement de salaires, d’arriérés, de bourses étudiants, cela ne tient-il pas, j’allais dire, du mensonge d’État ?
Gouverner c’est prévoir, c’est simple en sciences politiques. Par conséquent, les arguments actuels que sert le gouvernement tchadien aux fonctionnaires ne sont guère recevables. Et c’est un aveu d’échec. Il est vrai que le prix du baril du pétrole a subi une baisse drastique de sa valeur sur le marché international. Mais la règle élémentaire de bonne gouvernance exige que la manne pétrolière, en période de forte demande, aurait dû servir en priorité à la diversification de l’économie, pour éviter le «syndrome hollandais» qui consiste à valoriser l’exploitation d’une seule ressource au détriment des autres ressources.
Une des promesses, c’était la création d’un fonds destiné aux générations futures. Ce fonds n’aura pas vu le jour.
L’accord relatif à la gestion efficiente des revenus pétroliers pour lutter contre la pauvreté, signé entre l’État tchadien et la Banque mondiale, a prévu cette clause. Malheureusement, cette clause a constitué par la suite un désaccord entre les deux parties et les fonds destinés aux générations futures ont été purement et simplement supprimés par l’État tchadien, qui justifie d’ailleurs cette suppression par l’argument sécuritaire. Il s’est acheté des armes pour lutter contre les rébellions.
Trois quarts de la population de la région pétrolière de Doba vit avec 386 francs CFA par jour – 0,56 centimes d’euros. Là encore, on est loin des promesses. Cette population-là n’a pas profité de la manne pétrolière…
C’est vrai, la clause des 5 % des revenus du pétrole qui devraient être alloués à la région productrice de Doba a été tardivement mise en œuvre, c’est un fait et un constat. Mais malgré cette allocation, les fonds sont soit détournés, soit confisqués par l’Etat pour des raisons de mauvaise foi. C’est ce qui explique d’ailleurs, malgré l’exploitation du pétrole dans cette région, que les populations de Doba sont restées très pauvres et plus démunies encore avant l’exploitation du pétrole, sans investissement majeur de la part de l’Etat tchadien.
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