En Libye, les troupes du Maréchal d’opérette Khalifa Haftar tentent maintenant des méthodes diplomatiques pour s’emparer du champ pétrolifère d’El Feel, dans le sud de la Libye, après leur échec militaire, mais la situation peut basculer dans la violence d’un moment à l’autre.
Après avoir pris le contrôle pacifiquement du principal gisement pétrolifère Sharara, des sources locales ont indiqué que l’autoproclamée Armée Nationale Libyenne (ANL) de Haftar qui est fidèle à un gouvernement basé à l’est de la Libye – vise maintenant un second, al-Feel tenu par les Toubous depuis 2013.
Les troupes de Haftar stationnées dans l’oasis de Ghodwa, située entre les villes de Mouzouk et de Sebha, dans le sud du pays, engagées contre les Toubous, alliées du gouvernement d’Union nationale, soutenu par l’ONU, sont maintenant dans l’impasse militaire depuis une dizaine de jours. L’ANL serait en train de négocier avec des leaders Toubous afin de reprendre pacifiquement le champ pétrolifère.
Adam Dazi, un notable Toubou, a déclaré mercredi que la tribu avait ouvert de nouvelles voies de négociation avec les dirigeants de l’ANL, afin de parvenir à une solution pacifique sans affrontements armés.
Rahma Abubaker Ali – l’un des cinq députés Toubou à avoir suspendu sa participation au parlement de l’est de la Libye en signe de protestation contre les récentes violences dans le sud du pays – a déclaré qu’une guerre civile dans le sud de la Libye semblait de plus en plus inévitable. Il avait ajouté que la communauté Toubou a le droit de demander l’autodétermination en cas de continuation de ce qu’elle avait décrit comme une guerre ethnique dans le sud.
Les Toubous tiennent des lignes de défense qui, selon eux, protègent Mourzouk de nouvelles avancées militaires de l’ANL. Des violents affrontements ont été signalés ce mercredi.
« Haftar assiège le sud. Nous avons des dizaines de blessés qui ont un besoin urgent de soins médicaux appropriés, mais nous ne pouvons pas les envoyer à Tripoli car Haftar a interdit tous les vols entrant et sortant du sud », a déclaré Allafouza Youssouf, un notable de Mourzouk au média Middle East Eye.
La zone d’interdiction de vol controversée imposée au sud de la Libye ce week-end par le gouvernement de l’Est a également empêché des fournitures médicales essentielles d’atteindre l’hôpital de Mourzouk déjà surchargé et sous-équipé, a-t-il déclaré.
Des négociations dans l’impasse aussi
Les négociations engagés avec les Toubous par l’ancien prisonnier de Hissein Habré sont également actuellement dans l’impasse, le principal point de blocage étant la présence d’unités de combat controversées, notamment la brigade 128, au sein des forces du sud de l’ANL.
Dirigée par le major Hassan Matoug al-Zadma, membre de la tribu arabe Awlad Suliman, ennemi de longue date des Toubous libyens, la brigade 128 comprendrait également des combattants de la tribu arabe Zouwiya, au cœur d’une autre rivalité locale de longue date avec les Toubous.
Les dirigeants Toubous craignent que les combattants de ces deux tribus arabes du sud utilisent les avancées de l’ANL comme couverture pour régler des anciennes rancœurs et procéder à un nettoyage ethnique.
L’accusation selon laquelle Haftar aurait grossi ses rangs avec des mercenaires Toro-Boros soudanais du Darfour est en train de freiner les négociations.
« Nous refusons de nous conformer à l’opération militaire de Haftar parce qu’il utilise les tribus rivales et les mercenaires soudanais pour faire irruption de force dans notre ville« , a déclaré Mahmoud, un dignitaire Toubou.
« Actuellement, l’ANL cherche à négocier par l’intermédiaire de médiateurs, mais notre condition première est que Haftar retire ses unités locales affiliées à l’ANL, en particulier celles des tribus rivales et du Soudan. Ce n’est qu’alors que nous envisagerons des négociations sérieuses » .
Une source locale a indiqué que le commandant des forces spéciales de l’ANL, Wanis Bukhamada, était arrivé mercredi à Sebha pour diriger les négociations.
Bukhamada est très estimé dans le sud du pays pour avoir réussi à désamorcer les tensions entre les tribus Toubous et Awlad Suliman en 2014.
Le porte-parole de l’ANL, le brigadier général Ahmed al-Mismari, a déclaré qu’une délégation militaire de haut niveau était arrivée dans le sud du pays « pour transmettre un message de Haftar aux habitants du sud ».
Mismari a appelé les tribus clés du Sud, les Toubous, les Touareg et les Awlad Suliman, à ignorer les « médias trompeurs », insistant sur le fait que les opérations militaires de la LNA n’étaient pas un acte d’agression mais visaient à sécuriser le sud, qui échappait au contrôle du gouvernement depuis des années.
Mercredi, le gouvernement d’Union Nationale de Tripoli a annoncé que, grâce à sa coopération, la coalition dirigée par les États-Unis avait «attaqué» un site d’al-Qaïda dans la ville d’Oubari, dans le sud du pays. Africom, la force militaire des États-Unis en Afrique, a nié toute implication .
Cette ville stratégique est actuellement détenue par des milices touaregs aux allégeances politiques diverses, principalement du côté de l’ANL, et par des milices Toubous, essentiellement fidèles au gouvernement de Tripoli.
La Brigade 117 d’Oubari, une force de maintien de la paix composée de membres de la tribu autochtone Hassawna installés dans la ville après la fin de la guerre entre les Toubous et les Touareg à Oubari en 2015, a prêté allégeance à l’ANL.
Une source à Mouzouk a déclaré qu’il doutait que les négociations de l’ANL visant à prendre le contrôle pacifiquement des zones Toubous dans le sud soient couronnées de succès.
« Cela dépend vraiment des combattants, plutôt que des anciens de la tribu [impliqués dans les négociations], et les jeunes combattants disent qu’ils refuseront de laisser les forces de l’ANL entrer à Mourzouk », a-t-il déclaré.
Lundi, les forces de l’ANL ont pris le contrôle du champ pétrolifère de Sharara, après avoir négocié avec succès une passation de pouvoir par la brigade essentiellement Touareg 30, qui l’avait assuré depuis 2017.
Les tentatives faites par le gouvernement rival de Tripoli pour conquérir le champ pétrolifère en envoyant le commandant Touareg de l’ère Kadhafi, Ali Kanna, s’entretenir avec la Brigade 30 au cours du week-end semblent avoir échoué.
Les Toubous espéraient sécuriser leur territoire méridional en forgeant une alliance avec les Touaregs sous Kanna afin de freiner les avances de l’ANL, mais le transfert de Sharara constituait un revers majeur. La plupart des brigades touaregs d’Oubari ont prêté allégeance à l’ANL plus tôt cette semaine.
«Les Toubous se sentent trahis. Nous pensons que les brigades Touaregs fidèles aux gouvernements rivaux ont négocié, et la brigade 30 a estimé qu’il valait mieux confier le champ pétrolifère à une autre tribu touareg plutôt que de se battre », a déclaré Ahmed à Middle East Eye, un membre de la communauté Toubou à Mourzouk.
L’incapacité de Kanna à obtenir la pleine allégeance des brigades touaregs, suivie de la perte rapide de Sharara par la négociation plutôt que par une action militaire, souligne les problèmes actuels du gouvernement de Tripoli qui, dans sa troisième année, n’a pas encore réussi à établir un contrôle significatif au-delà de Tripoli.
Une catastrophe humanitaire s’annonce au sud
L’escalade militaire dans le sud risque d’entraîner un désastre humanitaire dans une région de la Libye qui a souffert d’années de négligence totale.
«La situation humanitaire est très mauvaise à l’intérieur de la ville. Nous souffrons de pénuries extrêmes de nourriture, de médicaments, de lait pour enfants et d’insuline pour les diabétiques », a déclaré Ibrahim Omar Saleh à Middle East Eye , un membre du conseil municipal de Mourzouk.
«Les magasins sont fermés et la ville est complètement assiégée. Nous n’avons pas reçu de carburant, de médicaments ou de nourriture depuis plus de trois semaines, depuis le début des opérations militaires ».
Saleh a plaidé auprès du gouvernement de Tripoli et de la communauté internationale pour envoyer de l’aide humanitaire dans le sud.
«Nous avons reçu des dizaines de familles déplacées qui avaient fui Ghodwa pour se rendre à Mourzouk au cours des opérations militaires, et nous exhortons le gouvernement de Tripoli, la MANUL [Mission d’appui des Nations Unies en Libye] et la communauté internationale à fournir une assistance médicale et humanitaire à la ville et à empêcher toute nouvelle attaque», a-t-il déclaré.
Les Nations Unies, cependant, ont largement limité leurs opérations à la côte libyenne depuis 2014 et, bien que la zone d’exclusion aérienne reste en place et que l’ANL contrôle la principale route terrestre du sud, il est difficile de voir qui répondra à ces besoins ou comment l’aide pourrait même être délivrée.
La MANUL a publié une déclaration rappelant à «toutes les parties leurs obligations de garantir la protection des civils et des ressources du pays (…) en évitant de viser des installations économiques et en mettant en danger les civils, sous quelque prétexte que ce soit».
TchadConvergence