Le Tchad lance une grande chasse aux faux diplômes. Un audit national doit mettre au grand jour tous les faussaires au sein de la fonction publique. Dans son article, OREDGE Narcisse, décortique cette idée d’audit. Tout en pensant que c’est une bonne idée, il ne manque pas d’émettre des réserves. D’abord, les auditeurs étant du sérail, un doute important flotte autour de leur bonne foi, au delà, c’est un potentiel nid de corruption immense. Ajoutons à cela les ex rebelles ayant amené Idriss Déby au pouvoir, qui ont été intégrés dans diverses administrations. D’évidence le recrutement ne s’est pas fait ici en fonction des diplômes. Si l’on rajoute à cela le marché parallèle de la vente de faux diplômes en plein essor… Cet audit risque être un peu de poudre aux yeux pour mimer une bonne gouvernance fantôme.Le gouvernement du Tchad lance l’audit des diplômes des fonctionnaires civils à travers la mise en place d’un comité de pilotage. Cet audit a pour but d’identifier et de répertorier les faux diplômes, les faux titres et avancements dans la fonction publique pour assainir et réactualiser les fiches de la solde. Que penser vraiment d’une telle initiative ?
Au Tchad, les idées et initiatives ne manquent pas ! Ce qui manque, ce sont l’honnêteté et la volonté de poser des actes qui servent l’intérêt général. Depuis 1991, le taux de chômage des 15-24 ans est très élevé. Pourtant, dans la fonction publique, des milliers d’individus occupent illégalement des postes grâce aux faux diplômes. L’audit des diplômes est en principe salvateur non seulement pour l’État mais aussi pour les diplômés sans emplois. Sauf que plusieurs éléments laissent planer des doutes sur la crédibilité de cette opération.
Sélectivité et manque d’indépendance
Les premiers éléments de doute font même partie de la décision. Les faux diplômes ne sont pas fabriqués uniquement dans la fonction publique. Ils viennent de partout alors pourquoi limiter l’audit à la fonction publique ? Le secteur privé est-il irréprochable ? Certains agents de l’Assemblée Nationale et d’autres hauts responsables des institutions étatiques et para-étatiques sont, ces derniers mois, pointés du doigt pour détention de faux diplômes par la presse locale. Circonscrire cet audit à une branche de l’administration relève de la sélectivité discriminatoire, ce qui lui ôte toute crédibilité.
Ensuite, l’équipe de pilotage de cet audit lui porte un préjudice grave. Composé en grande partie des cadres et membres du gouvernement, ce comité de pilotage ne présente guère les gages d’impartialité nécessaire à une telle opération. Ces cadres font partie des hauts placés qui usent de leurs positions pour faire des intégrations à la fonction publique et des nominations un business qu’ils entretiennent soigneusement. Leur présence dans ce comité laisse croire que les potentielles victimes de cette chasse ne seront que des boucs émissaires qu’ils sacrifieront ou encore des règlement de comptes politiques comme ce fut le cas au Cameroun avec l’opération épervier.
Des antécédents pas très rassurants
En 2012, le gouvernement lance «l’opération Cobra» pour combattre le détournement de deniers publics (environs 300 milliards/an). Doté de moyens colossaux, Cobra n’a eu de venin que pour les petits poissons qui n’ont que quelques miettes à retourner à l’État. Il s’est retrouvé sans venin face à des personnalités clés du régime qui demeurent jusqu’à nos jours intouchables. Sans véritable force, «Cobra» est enterré en silence.
Toujours en 2012, le Système Intégré de Gestion Administrative et Salariale du Personnel de l’État (SIGASPE) importé du Burkina a été lancé. Ce système a permis d’identifier environ 4000 fonctionnaires fictifs et ceux ayant un double emploi représentant quelques 17 milliards de FCFA. Puisque les hommes sont plus forts que les institutions, les faussaires sont réhabilités dans leurs fonctions et le SIGASPE a disparu pour des raisons ridicules: non paiement des droits d’utilisation au Burkina, problème d’électricité et d’internet. La vraie raison c’est que le SIGASPE faisait trop de victimes parmi les hommes forts de ce pays. Ces deux exemples démontrent clairement que de telles initiatives sont dorénavant voués à l’échec tant que le clientélisme et la corruption sont érigés en mode de gouvernance.
Une politisation systémique de l’administration
En 1990, Idriss Déby, à la tête des rebelles, prend le pouvoir au Tchad. En guise de remerciement, les ex-rebelles sont nommés à des postes de responsabilité. L’impunité entre dans l’administration lorsque ces responsables par tous les moyens cherchent à s’accaparer les biens et services de l’État qu’ils considèrent comme butin de guerre. L’audit des diplômes qui couvre la période allant de 1996 à 2016, montre clairement que dans cette affaire, le règne du président Deby a joué un rôle prépondérant. S’attaquer aux faux diplômés qui exercent déjà est intéressant mais que faire des sources qui les produisent en amont ? Les faux diplômés dans la fonction publique tchadienne ont trois provenances principales. D’abord, les mouvements rebelles qui échangent leurs armes contre les postes et les intégrations à la fonction publique au moment de leur ralliement. Ensuite, les militants des partis politiques qui reçoivent ces privilèges comme récompense de leur militantisme. Enfin, il y a les membres des réseaux de copinage qui utilisent les liens amicaux, parentaux et l’argent pour obtenir des avantages qu’ils ne méritent en rien. L’État ne peut pas prétendre mener une guerre contre les faussaires alors qu’il en est le premier complice. C’est là le paradoxe tchadien qui jette du discrédit sur cette initiative qui sous d’autres cieux mérite du soutien.
Trafic de faux diplômes
Cela dit, il faudrait rappeler aussi la responsabilité des instituts et des écoles d’enseignement supérieur, qui font des faux diplômes de véritables fonds de commerce. Déplorer les agissements de ces établissements c’est souligner le rôle de l’Etat qui est le régulateur avant et après la mise en place de ces établissements. Les autorisations de fonctionner sont délivrées, parfois dans les coulisses sans qu’il n’y ait d’enquêtes pour mettre en exergue les compétences et l’intégrité des demandeurs. Les cahiers de charges sont soit trop vagues, soit non respectés en raison de la corruption des contrôleurs. Résultat, ces établissements «commerçants» prolifèrent et se mettent à marchander des diplômes à tout le monde.
Auditer les diplômes est une initiative salutaire dans ce pays où des individus véreux font perdre énormément d’argent à l’État. Seulement, l’audit des diplômes tel que lancé doit aller au delà des limites qu’il se fixe. Il ne sert à rien d’identifier les faussaires et ne pas combattre les diverses sources qui les fabriquent. Il faut à ce titre libérer et renforcer les pouvoirs de la justice afin qu’elle puisque appliquer les décisions prises lors de ces genres d’opération. La diversification de l’économie s’avère aussi important pour offrir d’autres opportunités d’emploi car, tant que tout le monde aura les yeux rivés sur la fonction publique, il y aura toujours des personnes qui useront de tous les moyens pour y avoir accès. Enfin, si l’audit n’est pas confié à un cabinet indépendant qui pourrait rendre publics les résultats, il sera vu comme un nouvel éléphant blanc ou juste une farce utilisée par le gouvernement pour endormir la population.
OREDGE Narcisse, bloggeur tchadien
Article publié sur Libre Afrique
la c’est une vérité indéniable, même si on démasqué le faussaire, il sera rétabli plus mieux qu’avant. le moment viendra ou les faussaire payeront très cher leur sale forfait.
bon article